La voiture individuelle est-elle compatible avec le monde de demain ?
D’évolutions en révolutions, l’automobile individuelle accompagne le développement des sociétés humaines depuis la révolution industrielle avec une accélération très franche au début de XXème siècle et les premiers véhicules produit en grande série. Sous l’impulsion d’une concurrence féroce d’inventeurs passionnés devenus industriels, le secteur a dû s’adapter à des contraintes multiples de fiabilité, de sécurité, de pollution atmosphérique et désormais de changement climatique.
Dans ce contexte toujours plus normalisé, s’est déroulé parallèlement une course à la performance au-delà de tout besoin de mobilité mais fortement inspiré par le monde des courses automobiles. Les constructeurs ont su habilement surfer sur l’image véhiculée par ces monstres de puissance pour transformer l’automobile au-delà d’un simple moyen de transport de personnes. Par le statut social qu’elle peut représenter pour certains, la voiture individuelle est devenue une vitrine parfois surdimensionnée en regard de l’usage qui en est fait.
Comment est-elle peu à peu devenue indispensable dans les foyers de France et de Navarre ?
Moyen de transport à tout faire par excellence, la voiture individuelle est parfois le seul moyen de transport d’un foyer. Permettant à la fois le transport de personnes sur des trajets quotidiens comme sur des voyages longs occasionnels, elle autorise aussi souvent le transport de moyennes marchandises.
Figure 1 : Positionnement concurrentiel de différents moyens de mobilité courants
Malgré son coût (possession et usage) qui ne freine que partiellement son essor dans des pays dit « développés », le taux d’équipement des ménages est aujourd’hui supérieur à 80% en France(1). Si le budget consacré par les ménages à la voiture est similaire à celui de l’alimentation(2), c’est bien qu’entre utile et agréable, elle a désormais une place bien ancrée dans notre quotidien.
Alors qu’un nouveau challenge vient ébranler une industrie assez inerte depuis l’entrée en vigueur des normes de dépollution dans les années 90, le réchauffement climatique va assurément rebattre les cartes de ce secteur déjà sous le feu des projecteurs depuis 2015 avec le Dieselgate. Le poids du transport automobile dans les émissions de Gaz à Effet de Serre (Voitures : 10% des émissions de GES européennes(3)) et sa visibilité médiatique l’obligent à proposer des solutions vertueuses pour assurer un avenir durable à la mobilité individuelle.
Figure 2 : Répartition des émissions de GES dues aux transports dans l’Union Européenne, en 2019
Quelle technologie semble la plus adaptée à un monde décarboné ?
Alors que les experts du GIEC ont été assez clairs sur le sujet dans leur dernier rapport consacré à l’atténuation du changement climatique(4),
« Les véhicules électriques alimentés par de l’électricité bas-carbone offrent le principal potentiel de décarbonation des transports terrestres, en analyse de cycle de vie »
« Les batteries sont actuellement une meilleure option que l’hydrogène ou les piles à combustible pour les véhicules légers »
L’Europe de son côté n’a pas attendu ce rapport pour légiférer sur le sujet et a entériné récemment le projet de loi visant à interdire à partir de 2035 la vente de véhicules utilisant des énergies fossiles. Ce texte ambitieux ouvre une autoroute au développement massif du véhicule électrique à batteries.
Côtés constructeurs, après une réticence de certains acteurs à scier la branche sur laquelle ils se tenaient fièrement, ils ont presque unanimement décidé de basculer vers un modèle industriel où le cuivre prendra une belle revanche sur les différents alliages qui composent les mécaniques actuelles. Ainsi, la plupart des marques ont annoncé des objectifs plus ambitieux que la réglementation et certaines visent même 2030 pour atteindre 100% de ventes 100% électriques en Europe ; c’est le cas notamment de Volvo(5), Peugeot(6) et de nombreuses marques du groupe Stellantis.
La machine est donc lancée, mais est-ce vraiment une bonne chose pour le climat ?
D’un point de vue purement énergétique, plutôt ! Le bilan énergétique complet du véhicule électrique à batterie atteint des niveaux que ses concurrents thermiques ou pile à combustible lui envient. Son efficacité proche de 80% entre la production de l’électricité et l’énergie apportée aux roues motrices est tout de même à corréler avec la façon dont est produite l’électricité si on veut raisonner sur l’ensemble de la chaine de valeur.
Dans un continent en transition qui développe rapidement les énergies bas-carbones, on peut estimer que l’horizon fixé par l’Europe est cohérent et devrait permettre une décarbonation graduelle du secteur des transports.
Si d’autres pays se lançaient le même objectif d’électrification des véhicules sans avoir préalablement planifié leur transition énergétique, ce serait assurément un fiasco écologique. En effet, la voiture électrique a une empreinte carbone liée à sa fabrication qui est importante et ne se bonifie que dans sa phase d’utilisation sous réserve que l’électricité qui la fait avancer est elle-même bas-carbone. On comprend donc bien le besoin de coordination entre ces deux secteurs, d’autant que si on s’intéresse aux autres impacts sociétaux des véhicules à batterie, la balance peut aussi pencher dans l’autre sens.
Quels seront les nouveaux challenges que l’industrie automobile devra relever avec l’essor enfin promis à cette technologie ?
Si la technologie du moteur électrique est assez mature, c’est plutôt du côté de la batterie que des avancées majeures sont attendues. Coût de fabrication, impact environnemental, vitesse de recharge et durée de vie(s) : entre améliorations et compromis, l’optimum n’est certainement pas encore atteint et promet une concurrence accrue dans les années à venir.
On peut constater que l’électrification a pour l’instant entrainé une montée en gamme des voitures particulières, les rendant inaccessibles aux ménages les plus modestes. Bien que les coûts de fabrication devraient continuer à diminuer avec l’effet volume, les constructeurs doivent aussi développer des solutions « low-cost » rapidement afin de répondre aux besoins de l’ensemble de la population.
Cet objectif de réduction des tarifs combiné à de l’écoconception pourrait permettre d’aboutir à des solutions plus sobres que ce que l’on peut voir actuellement.
Les principaux impacts environnementaux d’une batterie se situent au niveau de l’extraction des matériaux qui la composent. Si le lithium est assez abondant dans la croute terrestre, il nécessite beaucoup d’eau pour son extraction et contribue donc à la raréfaction de cette ressource vitale. Pour rendre les batteries plus durables, il sera donc nécessaire d’allonger la durée de vie de ses éléments. Sur ce point, même si le GIEC est assez positif :
« La disponibilité des ressources, les droits du travail, les impacts environnementaux non climatiques et les coûts des minéraux nécessaires aux batteries lithium-ion suscitent des inquiétudes croissantes… Compte tenu du potentiel élevé de recyclabilité des batteries lithium-ion, la mise en place d’une économie circulaire pourrait à l’avenir atténuer la criticité d’approvisionnement de ces minéraux »
Il reste néanmoins des incertitudes à lever sur la disponibilité des matières premières
La durée de vie des batteries elle aussi sera mise à rude épreuve par des puissances de charge toujours plus élevées dans l’objectif de répondre à des contraintes d’utilisation évidentes lors des longs trajets. Il reste donc à les fiabiliser en développant de nouvelles technologies moins thermosensibles ; les recherches actuelles sur les batteries à l’état solide semblent prometteuses d’autant qu’elles permettent aussi de réduire le risque d’incendie en cas de crash.
Enfin, d’autres synergies trans-sectorielles sont possibles car les batteries de voitures dont la capacité est devenue trop faible pour un usage de transport peuvent entamer une seconde vie dans le secteur du stockage de l’énergie. Ce secteur, lui aussi en croissance en raison de l’utilisation d’énergies renouvelables intermittentes admet des batteries dont l’état est déjà raisonnablement altéré lors de leur première vie. Des exemples d’entreprises faisant ce choix technico-économique existent déjà en Californie ou le marché du véhicule électrique est probablement le plus mature(7).
L’économie circulaire semble donc une nouvelle fois plébiscitée car elle permet de réduire l’impact environnemental mais aussi d’assurer la pérennité financière d’un modèle pour l’instant élitiste. Première vie, deuxième vie, recyclage en fin de vies pour les batteries. Possibilité de reconditionnement pour les caisses dans des usines dédiées(8). Nul doute que les constructeurs qui intègreront ce modèle économique disruptif auront une longueur d’avance sur leurs concurrents et pourront accélérer avec ambition vers un monde plus durable.
(1) https://www.insee.fr/fr/statistiques/2012694#tableau-TCRD_001_tab1_departements
(2) https://www.insee.fr/fr/statistiques/5358250#tableau-figure1
(3) https://www.europarl.europa.eu/resources/library/images/20220602PHT32029/20220602PHT32029_original.jpg
(4) https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg3/downloads/report/IPCC_AR6_WGIII_TechnicalSummary.pdf
(5) https://www.volvocars.com/fr/v/sustainability/highlights
(6) https://www.media.stellantis.com/em-en/peugeot/press/peugeot-e-lion-day-100-electric-100-irresistible
(7) https://ici.radio-canada.ca/recit-numerique/5749/californie-emmagasine-energie-climat
(8) https://www.renaultgroup.com/wp-content/uploads/2022/05/202203_rg_plaquette_refactory_12_fr.pdf